Le lundi 21 mai 2018, nous avons eu la chance d’interviewer le Docteur Gog Soon Joo, qui dirige l’équipe de recherche de SkillsFuture Singapore, l’agence nationale en charge de l’adaptation et de la formation de la main d’œuvre singapourienne. Extraits choisis de l’interview.

Merci infiniment de me recevoir. Vous êtes la première personne que je rencontre ici. En guise de propos introductif, que pourriez-vous dire sur l’importance de la formation continue à Singapour ?
Nous investissons dans l’éducation et la formation, pas seulement durant l’enfance mais aussi beaucoup dans l’apprentissage tout au long de la vie – et je pense que nous sommes l’un des seuls pays à y accorder une telle importance. L’apprentissage tout au long de notre vie n’est pas seulement une question de valeur marchande, mais c’est aussi une occasion de permettre aux gens de donner du sens à leur vie. Par exemple, le gouvernement offre à chaque Singapourien(ne) de plus de 25 ans un crédit de 500 dollars pour s’inscrire à des formations.

Un entrepreneur nommé Gabriel Adauto, que j’ai rencontré à San Francisco, m’a expliqué qu’il a un stagiaire venant de Singapour auquel il n’a pas à verser d’indemnité, celle-ci étant payée par le gouvernement Singapourien…
Oui, effectivement. L’une de nos mission, à SkillsFuture Singapore, est d’être sûrs que les étudiants singapouriens peuvent bénéficier d’une exposition autour du monde – nous avons donc à disposition de nombreux fonds pour permettre aux étudiants de partir à l’étranger – y compris pour des stages.

Avant la création de SkillsFuture Singapore, y avait-il cette culture de l’apprentissage tout au long de la vie ?
Oui, clairement. Il y avait la Workforce Development Agency depuis 2003. Celle-ci s’est ensuite divisée 2, pour donner naissance à Workforce Singapore et à SkillsFuture Singapore.La première tâche d’aider les singapourien à trouver un emploi, tandis que la seconde SkillsFuture s’occupe davantage des compétences futures et de l’apprentissage tout au long de la vie.

SkillsFuture est donc complètement financée par le gouvernement ?
Oui, absolument.

L’innovation en matière d’apprentissage semble, à Singapour, très dépendante de la sphère publique. Quid de la sphère privée ?
Je dirais que le privé est très actif – notamment dans le secteur des centres d’enrichissement et de soutien qui représente une immense industrie ici. Concernant la question de leur capacité à innover dans l’apprentissage, je pense que beaucoup de tentatives et projets sont menés. Nous avons par exemple organisé un hackathon la semaine dernière : environ 300 personnes ont participé. A la fin, 25 équipes proposaient des solutions pour améliorer l’apprentissage – et j’étais très impressionnée par les résultats.

J’ai vu, en entrant dans le bâtiment, que Microsoft possède son siège dans cette même tour. Comment les multinationales qui viennent s’installer à Singapour s’adaptent-elles à la culture de l’apprentissage si développée ici ?
Ils sont particulièrement engagés dans des entités locales – et ont notamment des programmes avec des écoles ou des centres d’enrichissement. Je pense que Singapour est un hub stratégique et que par conséquent les géants de la tech essayent de s’adapter au mieux à la culture pour créer un véritable écosystème d’apprentissage.

Au seind de SkillsFuture Singapore, vous occupez entre autres le poste de Chief Futurist. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Ce poste de recherche, qui date de janvier 2018, a 3 mandats : mieux entrevoir les emplois du futur, mieux comprendre l’avenir de l’apprentissage, et enfin imaginer l’avenir des politiques de formation à Singapour. C’est notre mission. Nous utilisons des outils aussi variés que les modèles mathématiques, les probabilités, la donnée, mais aussi le prototypage afin de bien mesurer et identifier les tendances – car c’est là le nerf de notre guerre. On travaille par exemple avec LinkedIn pour identifier des tendances dans les données qu’ils acceptent de nous fournir.

L’on entend souvent parler des compétences du 21ème siècle, sans vraiment lire de définition précise. Quelle est donc la vôtre ?
Je pense que le futur est en train d’être fait. Les compétences qui sont donc importantes pour s’y préparer au mieux sont selon moi la capacité à être agile et à vivre dans une certaine insécurité – j’entends par là être capable de vivre dans une dynamique de changement perpétuel. Ensuite, je mettrai évidemment la capacité à apprendre : apprendre par soi-même, et apprendre auprès d’autres personnes. Je mettrais également, et parce que la génération Z et la suivante sont nées avec la technologie, qu’il faut être toujours conscients des limites de cette dernière. J’ajouterai donc un quatrième élément central (corollaire du précédent) qui est de comprendre – c’est un grand mot – ce qu’est l’humanité, l’éthique, mais aussi le risque de mettre l’homme au centre de toute chose. Enfin, tout simplement la curiosité, qui ouvre vers l’apprentissage et la créativité.